Connu pour sa lucidité, son sens infaillible du beau, sa sensibilité, sa délicatesse, son génie et son esprit de finesse, Charles Baudelaire a écrit ce qui va être à la source de la sensibilité moderne.
L'aspect essentiel de sa méthode est de ne représenter la présence que seulement par l'absence...
Cependant, dans cet extrait de « Le joujou du pauvre », Charles Baudelaire décrit allégoriquement deux mondes opposés- le riche et le pauvre - qui finissent par se rejoindre. Une scène émouvante !
Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d'un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, vêtu avec coquetterie.
Le luxe, l’insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants là si jolis qu'on les croirait faits d'une autre pâte que les enfants de la pauvreté.
A coté de lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide aussi frais que son maître, verni,doré, vêtu d'une robe pourpre. Mais l'enfant ne s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait.
De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les charbons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif, fuligineux, un de ces marmots parias dont un œil impartial découvrirait la beauté s'il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.
A travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes: la grande route et le château, l’enfant pauvre montrait à l'enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Ce joujou, que le petit souillon agitait et secouait dans une boite grillée, c’était un rat vivant!
Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement avec des dents d'une égale blancheur.
Charles Baudelaire
Par Kiki1964