Monsieur ! il copie !:
J'entrai au cours élémentaire. Je fus placé à côté de Vigouroux. Il était deux fois plus grand et
plus fort que moi, brutal, sournois : j'en avais peur.
Le premier jour, on nous avait distribué des livres. Vigoureux, d'autorité, s'était brutalement
emparé de toute la pile, avait gardé les meilleurs et m'avait donné les vieux, en me regardant d'un air
menaçant... J'avais le cœur gros, moi qui étais si soigneux de mes affaires, si jaloux de leur propreté.
Vigoureux copiait, je m'en était tout de suite aperçu. Ma jeune honnêteté considérait cela
comme un crime. Lorsque nous faisions un devoir, son œil rond et terne plongeait effrontément sur
mon cahier. Je résistais, je mettais ma main sur la page fraîche d'encre. Il me donnait sournoisement
un coup de coude et cela faisait des taches. Il ricanait. Il savait bien que je serais puni. A la compo-
sition, il exigea que je le laisse copier. Je résistai encore.
« Tu vas voir, à la récré », menaça-t-il...
Lorsqu'il s'aperçut que, décidément, je ne me laisserais pas impressionner, il employa un autre
procédé. Rageusement, il se rencogna au bout de son banc, se pencha sur son cahier, le cacha avec
son bras. Il me tourné presque le dos, se pencha encore un peu plus, poussa son cahier à l'extrême
bord de la table et, tout à coup, leva la main, claqua furieusement les doigts et s'écria avec une ver-
tueuse indignation :
« Monsieur ! Monsieur ! il copie ! »
Le maître le crut. Je fus puni. Je pris conscience de l'injustice du monde.
Georges Le Sidaner
J'entrai au cours élémentaire. Je fus placé à côté de Vigouroux. Il était deux fois plus grand et
plus fort que moi, brutal, sournois : j'en avais peur.
Le premier jour, on nous avait distribué des livres. Vigoureux, d'autorité, s'était brutalement
emparé de toute la pile, avait gardé les meilleurs et m'avait donné les vieux, en me regardant d'un air
menaçant... J'avais le cœur gros, moi qui étais si soigneux de mes affaires, si jaloux de leur propreté.
Vigoureux copiait, je m'en était tout de suite aperçu. Ma jeune honnêteté considérait cela
comme un crime. Lorsque nous faisions un devoir, son œil rond et terne plongeait effrontément sur
mon cahier. Je résistais, je mettais ma main sur la page fraîche d'encre. Il me donnait sournoisement
un coup de coude et cela faisait des taches. Il ricanait. Il savait bien que je serais puni. A la compo-
sition, il exigea que je le laisse copier. Je résistai encore.
« Tu vas voir, à la récré », menaça-t-il...
Lorsqu'il s'aperçut que, décidément, je ne me laisserais pas impressionner, il employa un autre
procédé. Rageusement, il se rencogna au bout de son banc, se pencha sur son cahier, le cacha avec
son bras. Il me tourné presque le dos, se pencha encore un peu plus, poussa son cahier à l'extrême
bord de la table et, tout à coup, leva la main, claqua furieusement les doigts et s'écria avec une ver-
tueuse indignation :
« Monsieur ! Monsieur ! il copie ! »
Le maître le crut. Je fus puni. Je pris conscience de l'injustice du monde.
Georges Le Sidaner