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Le français pour tous et tous pour le français

(...) je fais dire aux autres ce que je ne puis si bien dire, tantôt par faiblesse de mon langage, tantôt par faiblesse de mon sens. Montaigne

Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! Victor Hugo

Quelle que soit la chose qu'on veut dire, il n'y a qu'un mot pour l'exprimer, qu'un verbe pour l'animer et qu'un adjectif pour la qualifier. Guy de Maupassant

La vraie éloquence se moque de l'éloquence (...) Pascal

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    Extraits de Driss Chraïbi, La Civilisation ma Mère…....:

    sellami kamel
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    Extraits de Driss Chraïbi, La Civilisation ma Mère…....: Empty Extraits de Driss Chraïbi, La Civilisation ma Mère…....:

    Message par sellami kamel Ven 7 Mar 2014 - 18:27

    La radio.

    Nagib a remis la porte d’entrée sur ses gonds, a fait craquer ses doigts et nous a dit:
    -Venez voir, mes agneaux, la splendeur des splendeurs.
    Nous sommes montés et nous avons vu. Par terre, dans le salon, il y avait des planches, deux ou trois encore entières, les autres en éclats. Des morceaux de fil de fer, des clous tordus. Et au milieu de tout cela, quelque chose de noir, pesant, oblong, qui tenait du coffre et de l’armoire. Avec un cadran, deux boutons et une plaque de métal où était gravé en relief un mot que je ne comprenais pas : BLAUPUNKT.
    Ma mère a considéré Nagib et a levé les bras au ciel. Puis elle a considéré le meuble, longuement ; a tourné tout autour, les mains dans le dos; a tapoté le cadran, tourné les boutons. Et comme le meuble ne réagissait pas, elle s’est arrêtée et m’a dit :
    -Qu’est-ce que c’est, cette chose ?
    -Blo Punn Kteu, ai-je répondu.
    -Quoi ?
    - Blo Punn Kteu.
    Elle s’est mise tout de suite en colère, comme si le feu couvait depuis longtemps en elle.
    -Quelqu’un dans cette maison veut-il m’expliquer de quoi il s’agit ?
    -Ce qu’il a dit n’est pas tout à fait exact, a fait remarquer mon frère. Moi aussi, je sais lire. Il y a écrit : « Bla Upunn Kteu ».
    Je me suis mis en colère à mon tour.
    - Blo Punn Kteu !
    -Non, monsieur, a dit Nagib. B-L-A, Bla, Upunn Kteu. C’est comme ça , mon petit !
    -Seigneur Dieu ! s’est écriée ma mère en se tordant les mains. Qu’est-ce qu’ils me racontent, ces monstres que j’ai mis au monde ! Allez-vous m’expliquer à la fin ?
    -C’est la radio, a répondu Nagib. La radio, quoi !
    -Mais qu’est-ce que c’est cette « radio » dont j’entends parler depuis trois jours ? Radio… Blo… Bla Upunn… Radio… Kteu !...
    Les yeux dans les yeux, Nagib et moi nous sommes regardés en frères et nous avons répondu d’une seule et même voix :
    -C’est une boîte qui parle.
    -Qui parle ? Une boîte qui parle? Ah ça ! Vous me prenez pour une femme du Moyen Age ou pour un haricot ? Vous osez vous moquez de votre mère ? Attendez un peu que je défasse ma ceinture.
    -Elle est en soie, a dit Nagib. Elle ne ferait pas de mal à un ver de terre. Prends plutôt une de ces planches. Et tape si tu ne comprends pas. Mais auparavant, écoute-moi, petite mère : ceci est une boîte , je te l’assure, et une boîte qui parle.
    -Mais-elle-ne-parle-pas !
    -Elle va le faire. Elle va donner les nouvelles du monde entier, elle va chanter, dire : « Au quatrième top, il sera exactement 10 heures 24 minutes 30 secondes.» Elle va rire, pleurer, raconter un tas d’histoires.
    -Elle va faire tout ça ? Tu en es sûr ?
    -Oui, madame.
    -Mais… mais comment ?
    De nouveau, nous nous sommes regardés, mon frère et moi. Et nous nous sommes compris. J’ai vu comme un doigt sur les yeux de Nagib me recommandant la plus grande prudence : «Chut! Tais-toi. Ne lui parle surtout pas de l’électricité, ça ferait des étincelles.»J’ai répondu très vite :
    Par magie.
    -Ah bon ! a dit ma mère, soulagée et joyeuse tout à coup. Comme les fakirs et les charmeurs de serpents ?
    -C’est ça. Parfaitement.
    -Tu veux dire qu’un magicien va venir et animer cette grande boîte ?
    Nagib l’a prise dans ses bras, lui a embrassé les mains, le front, les cheveux.
    -C’est un magicien tellement magique que tu ne le verras même pas. Je t’en donne ma parole.
    -Oh ! je suis contente… si contente…
    sellami kamel
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    Message par sellami kamel Ven 7 Mar 2014 - 18:28

    L’électricité.
    Dans les jours qui suivirent, une demi-douzaine d’hommes envahirent la maison. Ils clouèrent, vrillèrent, vissèrent. Posèrent un compteur, dévidèrent des fils électriques, installèrent interrupteurs, douilles, lustres. Ma mère était comme agressée par ces allées et venues, ces voix sonores, ces coups de marteau. Toute la journée, elle était recluse dans sa cuisine, les lèvres scellées, préparant des plats et des litres de thé, pour nous et pour ceux qui travaillaient à « l’installation du magicien dans la maison ». Quand nous revenions de l’école, elle nous posait la même question :
    -Ça y est ? Il est là ?
    Elle n’était pas impatiente ou excitée. Non. C’était quelque chose qui n’appartenait qu’à elle :la patience et la foi. Une patience croyante, tassée, comprimée, devenant fébrile de jour en jour.
    Ce vendredi-là, je m’en souviens très bien, avec tout mon passé aigu. L’horloge à poids du salon venait de sonner cinq heures de l’après-midi d’une voix rouillée. Nous nous déchaussâmes, Nagib et moi, dans le vestibule, posâmes nos cartables sur nos souliers et dîmes :
    Ça y est ! il est là.
    Nagib lui a mis dans la main la poire et lui a dit :
    -Allume. Presse sur le bouton. Vas-y !
    Un moment, l’indécision a sauté à ses yeux, d’un œil à l’autre, vélocement. L’appréhension devant l’inconnu. La peur de faire apparaître un génie qu’elle ne pourrait plus contrôler. Mais j’ai vu ses dents : elle souriait. Un sourire qui était sûrement une invocation : « Au nom du Tout-Puissant, Maître de l’Univers ! » Puis elle a pressé sur le bouton de la poire et la lumière fut dans la chambre, le soleil sur son visage.
    Elle est restée là, considérant ce petit objet en bakélite qu’elle tenait dans sa main et qui pouvait illuminer le monde. Et sa joie était mouvante, avait le friselis de la mer quand la sillonne le premier rayon de l’aurore, de vague en vague, de l’horizon à l’horizon. Et j’aurais juré la voix d’une mouette quand elle s’est exclamée :
    -Il est là !... Le magicien est venu !
    -Éteins maintenant, a dit Nagib en éclatant de rire.
    -Quoi ?
    -Presse de nouveau sur le bouton.
    Machinalement elle a obéi.
    -Oh ! il est parti, dit-elle d’une voix désolée. Il est parti !
    -Allume et il reviendra. Vas-y, n’aie pas peur.
    Elle était toujours là, à la même place, debout et passionnée, pressant toutes les deux secondes sur la poire électrique et répétant comme un disque rayé :
    -Allume-éteins !... Allume-éteins !... Allume-éteins !...

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    Message par sellami kamel Ven 7 Mar 2014 - 18:28

    Monsieur Kteu
    -Allons, viens voir la radio.
    Elle alla d’abord revêtir sa robe d’apparat, brodée et raide de fils d’or, se parfuma au jasmin et, quand elle entra dans le salon, ce fut comme si elle le voyait pour la première fois de sa vie. S’assit sur les talons, les aisselles sur les genoux et le menton dans ses mains, dans l’attitude qui lui était familière, fait de gravité et d’incompréhension totale, lorsque mon père entreprenait de lui expliquer, preuves en mains la différence entre une pièce de monnaie et un billet de banque.
    Nagib tourna les boutons du récepteur, régla le volume, une voix hurla :
    -Blé dur 180, blé tendre 213, fenugrec 31, millet 20.
    Survit une musiquette. J’en profitai pour demander à ma mère :
    -Eh bien, qu’en penses-tu ?
    Si elle pensait quoi que ce fût, elle ne m’en dit rien. Ne bougea pas, ne m’entendit même pas. Le rêve l’habitait à présent, coulait dans ses veines, avait la fixité de son regard.
    Nagib me fit un clin d’œil et nous quittâmes le salon sur la pointe des pieds.
    Deux ou trois fois, Nagib monta, brandissant un gigot de mouton comme une massue. Et, chaque fois qu’il redescendait, il secouait la tête : « Chut !elle écoute le sermon du vendredi…Elle est au théâtre…Au concert… »
    -Elle a mangé ?
    -Non.
    A minuit, la voix radiophonique dit :
    -Bonsoir, mesdames… Bonsoir messieurs. (Et se tut)
    -Bonsoir, monsieur le magicien, lui répondit ma mère, fais de beaux rêves.
    -Et maintenant maman tu veux manger quelque chose ? Ajouta Nagib.
    -Baisse la voix, idiot ! Tu vas le réveiller. Tu ne l’entends pas ronfler le pauvre ?
    C’était vrai : la radio ronflait. Je coupai le courant.
    C’est ainsi que le « magicien » s’installa dans la maison et l’anima matin et soir.
    Elle l’appela Monsieur Kteu.
    Elle dialoguait avec lui, l’approuvait, n’hésitait pas à l’interrompre :
    -Comment dites-vous, Monsieur Kteu ? Voulez-vous répéter, s’il vous plaît ? Je n’ai pas bien entendu… oh ! Non, Monsieur Kteu, là vous vous tromper. On vous a mal renseigné : je vous assure qu’aujourd’hui il n’a pas plu du tout…Mais vous ne pouvez pas être partout à la fois, n’est-ce pas ?
    Monsieur Kteu devient pour elle l’homme qu’elle avait toujours attendu : le père qu’elle n’avait jamais connu, le mari qui lui récitait des poèmes d’amour, l’ami qui la conseillait et lui parlait de ce monde extérieur dont elle n’avait nulle connaissance.
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    Message par sellami kamel Ven 7 Mar 2014 - 18:29

    Le fer à repasser.
    C’était un fer à repasser, en acier chromé et brillant comme la joie. Electrique. Habituée aux plaques en fonte, ma mère le mit sur le braséro. Pour le chauffer. Si la résistance grilla, personne ne l’entendit. Les produits de la technologie ont-ils une âme ? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que ce fer à repasser ne dit rien quand il mourut, ne poussa pas un cri de douleur. Ce jour là je commençai à comprendre le Zen et le yoga dont parlait mon père.
    Mais, même cuit, il repassa toute une pile de linge. L’art survit à l’homme, n’est-ce pas ? Mû comme par un skieur, il glissa, glissa sur les serviettes, les draps, les mouchoirs, avec une aisance enthousiaste. Quand il eut fini sa tâche d’acier poli et civilisé, ma mère l’accrocha. A la prise de courant. Pensive, elle considéra le résultat. Puis secoua la tête et me dit :
    -Tu vois, mon fils ? Ces Européens sont malins, ma foi, oui. Ils ont prévu deux trous, deux clous et un fil pour le suspendre après usage. Mais sans doute ne connaissent-ils pas les maisons de chez nous. Sans cela, ils auraient fabriqué un fil plus court.
    En conséquence, elle fit un nœud au milieu du cordon. Pendu ainsi à la prise de courant, le fer arrivait à quelques centimètres du sol. Nagib fit :
    -Ha, ha !... hummm !... Très bien, très très bien… Houhouhou !...
    Je lui lançai une banane à la tête et dit :
    -Quoi ? quoi ?... Ah oui ! Ne t’en fais pas, mon petit. Je les ai bien cachés.
    Il faisait allusion aux ciseaux de ma mère. Si elle les avait eus sous la main, peut-être eut-elle coupé le fil électrique ? A l’époque, il n’y avait pas de disjoncteur et les fusibles étaient incapables de fondre en cas de court-circuit : ils étaient en cuivre rouge.
    sellami kamel
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    Message par sellami kamel Ven 7 Mar 2014 - 18:29

    Le téléphone.
    En 1940, quand on nous installa le téléphone, j’ai tenté de parler à ma mère de Graham Bell et des faisceaux hertziens. Elle avait sa logique-à elle-diluante comme le rire peut diluer l’angoisse.
    -Comment ? Je suis plus âgée que toi. C’est moi qui t’ai enfanté, et non le contraire, il me semble. Un fil , c’est un fil. Et un arbre égale un arbre, il n’y a pas de différence entre eux. Tu ne vas pas me dire que ce fil s’appelle Monsieur Kteu, que cet autre s’appelle fer à repasser, et celui-ci monsieur Bell ? Simplement parce qu’ils sont de couleurs différentes ? A ce compte-là, il y aurait trois génies dans la maison ? Et plusieurs espèces humaines sur la terre ? C’est ça qu’on t’apprend à l’école ?
    Je me contentai donc de lui expliquer le mode d’emploi. Elle dit : « Allons-y », souleva le cornet acoustique, le porta à l’oreille, tourna la manivelle du téléphone de toutes ses forces, il y eut un chuintement. Une voix de fer-blanc parvint jusqu’à moi, après avoir fait sursauter ma mère :
    -Allô, ici le central. Quel numéro désirez-vous ?
    -Le salut de Dieu soit avec toi, mon fils, dit maman. C’est la voix de la poste ?
    -Oui, c’est le central.
    -C’est la poste ?
    -C’est ça , c’est le central. J’écoute.
    -Je voudrais la poste.
    -Vous avez le central.
    -J’ai demandé la poste.
    -C’est la même chose.
    -Ah !
    -Quel numéro désirez-vous ?
    -Fès.
    -Ne quittez pas.
    Elle ne quitta pas, me rassurant d’un large sourire :
    -C’est loin Fès. A dix jours de cheval, au moins. Mais le génie galope comme le vent, tu vas voir. Les distances ne lui font pas peur… Trois minutes et il y sera… Qu’est-ce que je te disais ? Allô ! je suis à Fès ?
    -Cabine de Fès. J’écoute.
    -Allô, Meryem ? Tu as changé de voix…
    -Qui demandez-vous ? J’écoute.
    -moi aussi.
    -Comment ?
    -J’écoute, moi aussi. C’est toi, Meryem ?
    -Vous avez demandé Fès ?
    -Oui.
    -Quel numéro ?
    -Écoute, ma fille, et tâche de comprendre. Voilà : je voudrai parler à ma cousine. Je ne l’ai pas vu depuis quinze ans.
    -Quel numéro ? Elle est abonnée ?
    -Alors, je ne sais pas.
    -Il me faut un numéro.
    -Écoute, ma fille, je vais t’expliquer, ouvre bien tes oreilles et je prierai pour toi. Ma cousine s’appelle Meryem. Elle a des yeux verts comme l’herbe du pâturage, la peau blanche comme du lait…
    -Allô ! Allô !... Écoutez-moi…
    Et elle obtint sa cousine un quart d’heure plus tard, lui parla comme seule ma mère pouvait le faire, sans aucune notion de temps.
    Elle téléphona jusqu’à la nuit tombante.
    De temps à autre, régulièrement, comme un refrain aigu, s’élevait la voix de la téléphoniste :
    -Vous avez terminé ?
    -Comment ? Non, je n’ai pas terminé. Tu m’interromps tout le temps.
    -Mais , madame , vous avez la ligne depuis plus de deux heures. Ça va vous coûter une fortune.
    -Quoi ? Quoi ? Parce qu’il faut te payer pour que je parle.
    Mon père paya la communication. Il régla sans y faire allusion toutes celles que maman obtint par la suite.

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